Lenjeu est alors ici de comprendre comment Jean de La Bruyère arrive à capturer l’idée d’un monde purement théâtral dans Les Caractères (libres V à X) à travers cette cour courtisane,
IParcours réflexions sur l'intitulé du parcours La comédie sociale » L'intitulé du parcours fait le rapprochement entre la vie en société et le théâtre. Il faut donc s'intéresser aux définitions de ces deux notions ainsi qu'au rapport qu'elles entretiennent. Le terme comédie » est polysémique, il peut avoir différentes significations. Une comédie » peut désigner tout d'abord une pièce de théâtre divertissante. Le mot comédie » désigne également une attitude fausse et théâtrale. Antoine de Furetière, un lexicographe de renom du XVIIe siècle, définit ainsi le terme de comédie » 1. Piece de theatre composée avec art, en prose, ou en vers, pour representer quelque action humaine ; & se dit en ce sens des pieces serieuses, ou burlesques. »2. COMEDIE, se dit par extension de toute action plaisante, ou ridicule, qui se fait en compagnie. » Il y a donc aujourd'hui derrière l'idée de comédie, tout comme au XVIIe siècle, celle de pièce de théâtre et de faut noter qu'aujourd'hui, le terme peut également désigner une attitude désagréable et insupportable synonyme de caprice ». On peut, par extension, associer le mot comédien » à l'intitulé du parcours. Ce terme peut signifier personne qui fait du théâtre » mais également personne qui se compose une attitude ». Le terme sociale » signifie qui est relative à une société ». Une société désigne le milieu dans lequel vivent les hommes en groupe. Ce milieu est régi par des lois. Il y a, dans toute société, des interactions permanentes entre les individus qui la composent. Lorsqu'on parle de comédie sociale », on étudie donc la manière dont les individus se mettent en scène et sont mis en scène dans leurs interactions avec les autres. Les hommes jouent donc un rôle et s'offrent en spectacle. Mais ils sont également les spectateurs de cette comédie. En somme, l'homme est un comédien qui joue la comédie sociale car il essaie de paraître ce qu'il n'est pas. Dans Les Caractères, Jean de La Bruyère dénonce la comédie sociale. L'hypocrisie est généralisée et les hommes sont sans cesse en représentation. Ils jouent un rôle en permanence et ne sont pas sincères. Pour lui, les actions individuelles et les interactions sociales sont saturées de mensonges et de faux-semblants. L'intitulé du parcours invite à se poser diverses questions Comédie ou tragédie sociale ? En quoi la société est-elle le lieu d'une comédie permanente ? Dans quelle mesure les hommes sont-ils acteurs et spectateurs du monde ? Quel regard porter sur la comédie sociale ? Qu'y a-t-il de théâtral dans la société ? IIJean de La Bruyère, l'auteur des Caractères Jean de La Bruyère est une figure marquante de son époque, issu de la noblesse de robe. Après des études de droit et la formation du duc de Bourbon, il va marquer les mémoires en publiant Les Caractères en 1688. Jean de La Bruyère naît le 16 août 1645 à Paris. Il est issu d'une famille bourgeoise de la magistrature. En 1665, après des études de droit, il soutient ses thèses et devient avocat. Mais ce métier lui plaît peu. En 1673, La Bruyère achète une charge de trésorier des finances à Caen, ce qui l'anoblit et lui procure des revenus confortables. Il appartient alors à ce que l'on appelle la noblesse de robe ». Noblesse de robe La noblesse de robe » regroupe tous les nobles qui occupent des fonctions gouvernementales, principalement dans la justice et les finances. On les appelle également les robins ». En 1680, La Bruyère rencontre Bossuet qui est le précepteur du Dauphin. Quatre ans plus tard, grâce aux recommandations de Bossuet, il devient le précepteur du duc de Bourbon qui appartient à l'une des plus grandes familles de France les Condé. C'est le début de l'ascension sociale de La Bruyère. En 1686, la formation du jeune duc est terminée. Mais La Bruyère reste au service de la maison de Condé. Il a la fonction de gentilhomme ordinaire » de M. le Duc. Il s'occupe de la gestion de la bibliothèque. Comme il fréquente la cour, La Bruyère a l'occasion d'observer ceux qui la constituent. Cela lui donne de la matière pour l'ouvrage qu'il est en train d'écrire. En 1688, il publie pour la première fois Les Caractères. Le succès est fulgurant. La Bruyère ne cessera de rééditer son livre en y ajoutant régulièrement de nouvelles réflexions. En 1693, il est élu à l'Académie française bien que les Modernes », et principalement Fontenelle, s'y soient vivement opposés. En 1696 paraît la dernière version des Caractères qui est constituée de 1 120 remarques. Le 10 mai 1696, La Bruyère meurt à Versailles d'une hémorragie cérébrale. La querelle des Anciens et des Modernes est une dispute littéraire qui naît au XVIIe siècle au sein de l'Académie française. Les Anciens soutiennent l'idée que les auteurs antiques doivent rester des modèles dans la création littéraire alors que les Modernes pensent que l'on peut rivaliser avec les auteurs antiques et qu'il faut renouveler la création artistique. IIIPrésentation de l'œuvre La Bruyère puise son inspiration dans les tourments de son époque pour écrire son œuvre. Son titre complet, Les Caractères ou Les Mœurs de ce siècle, y fait d'ailleurs référence. L'ouvrage est divisé en seize livres. Chacun s'attarde sur un aspect de la société du XVIIe siècle, à travers différents portraits. ALe contexte Le contexte historique est primordial dans cette œuvre. En effet, La Bruyère s'en inspire pour nourrir son ouvrage et, surtout, pour en faire la critique. Les guerres et les inégalités sociales et économiques sont notamment Caractères sont écrits pendant le règne de Louis XIV. En 1688, à leur parution, Louis XIV s'est déjà installé avec toute sa cour à Versailles. Les nobles les plus en vue sont ainsi éloignés de Paris. Louis XIV les maintient sous son emprise et les empêche, de cette manière, de comploter contre lui. Les nobles se soumettent alors à l'étiquette qui réglemente leurs relations et leurs comportements. Ils ne sont occupés que par des loisirs et des divertissements. Leur seul but devient alors de se faire bien voir par le règne de Louis XIV est marqué par des guerres, dont la guerre de Neuf Ans qui débute en 1688, mais aussi par les persécutions religieuses contre les jansénistes et contre les inégalités sociales et économiques sont très fortes à cette époque. On distingue trois ordres qui divisent la société sous Louis XIV la noblesse, le clergé et le tiers état. Ces ordres sont marqués par de grandes inégalités internes. La population française est donc très divisée. De plus, Louis XIV asservit les arts et la religion pour en faire des outils de soutien politique. C'est une des manifestations de l' Bruyère va utiliser toute cette matière pour composer son œuvre. Il va s'offusquer de la condition du tiers état, du comportement des bourgeois et des nobles mus par une ambition nuisible, il va s'insurger, également, contre l'hypocrisie et la fourberie des plus grands. Il fait ainsi la critique acerbe d'une société d'Ancien Régime corrompue et décadente. La Bruyère est ce que l'on appelle un moraliste. Un moraliste, au XVIIe siècle, est un écrivain qui observe et peint les mœurs de son époque et propose une morale solide. Il s'agit, pour les moralistes, de plaire et d'instruire avec une volonté de montrer aux hommes comment bien conduire leurs mœurs. BRésumé de l'œuvre Les Caractères de La Bruyère regroupent des maximes, des portraits ou des réflexions qui sont réparties en seize livres. Chaque livre aborde un aspect de la société de l' Bruyère présente ses Caractères comme étant la suite de l'œuvre de Théophraste, Caractères, probablement écrite en 319 av. Les Caractères comptent, au total, seize livres. Chaque livre est consacré à un aspect de la société de l'époque de La Bruyère. Les livres V à X, qui font l'objet de la présente étude, sont organisés de manière logique. Ainsi, à l'image de la hiérarchie sociale qui ordonne la société française, ces livres sont arrangés selon un ordre croissant ». Le livre V est consacré aux relations humaines en général et le livre X est consacré au roi Louis des livres est subdivisé en remarques il y en a 420 au total dans toute l'œuvre, certaines fonctionnant comme des réflexions et d'autres comme des portraits, des morales ou des maximes. La Bruyère utilise différents styles et procédés qui rendent son œuvre unique et plaisante le dialogue, la saynète, l'apologue, le pastiche, le récit, la description, la comédie, dessein de La Bruyère est de peindre l'homme en général » et ce d'après nature » préface aux Caractères. Le titre complet de l'œuvre est Les Caractères ou Les Mœurs de ce siècle. Cela sous-entend que La Bruyère va peindre à la fois les défauts individuels des hommes leur caractère et les défauts de la société les mœurs. Caractère Le mot caractère vient du latin character qui signifie marque, empreinte, signe distinctif » et du grec kharakter qui signifie signe, empreinte ». Par extension, le mot caractère » prend le sens de disposition morale d'une personne ». Le terme désigne, en littérature, une forme qui fait la peinture des mœurs des hommes à partir de leurs caractéristiques individuelles. 1Livre V De la société et de la conversation 83 remarques La Bruyère étudie, dans ce livre, les relations humaines et notamment l'usage de la lui, les hommes ne s'écoutent pas et cherchent sans cesse à se dominer les uns les autres. Alors que la parole devrait être un outil d'échanges et de conversation dans le but de s'instruire et de se comprendre, elle devient un outil qui sert les disputes, les moqueries et les intérêts de chacun. La Bruyère ébauche, en filigrane, le portrait de l'honnête portraits principaux du livre V sont ceux d'Acis, Arrias, Théodecte, Troïle, Cléon, Euthyphron, Cléante et Hermagoras. 2Livre VI Des biens de fortune 83 remarques Ce livre a pour thème principal l'argent. La Bruyère dénonce l'effet pervertissant des Bruyère explique que c'est l'argent qui fait fonctionner la société. Il explique que l'argent a des effets néfastes sur la personnalité des hommes. Pour lui, l'argent est à l'origine de la décadence des hommes et de la société dans laquelle ils vivent car il la régit et en menace l' portraits principaux du livre VI sont ceux de Clitiphon, Arfure, Crésus, Périandre, Chrysippe et Ergaste. 3Livre VII De la ville 22 remarques Dans ce livre, La Bruyère fait une satire féroce des habitants de la ville de Paris et particulièrement des parvenus ».La ville est un lieu corrompu où les gens se livrent à une véritable comédie sociale. En effet, les bourgeois imitent les gens de la cour en se mettant en scène. C'est également un endroit où toutes les classes sociales se côtoient, cohabitent et se mélangent. Mais chacun essaie de sortir de sa classe sociale par tous les moyens possibles. La Bruyère déplore aussi le fait que seules les apparences comptent car chacun est soumis au regard de l'autre. Paris est donc un véritable théâtre qui montre le spectacle déplorable de la malveillance, de l'hypocrisie et de la tromperie remarque 22, qui clôture le livre VII, permet à l'auteur d'évoquer les mœurs des anciens Romains et de les ériger en portraits principaux du livre VII sont ceux de Narcisse et Théramène. 4Livre VIII De la cour 101 remarques Dans ce livre, La Bruyère poursuit la métaphore théâtrale. Il montre que la cour n'est que faux-semblants, hypocrisie et Bruyère dénonce le règne des apparences. Les courtisans sont fustigés pour leur orgueil et leur ambition démesurée. Il se moque de leur comportement et des règles ridicules de l'Étiquette. Leur désir incessant de reconnaissance et leur souci permanent de plaire font d'eux les pantins du roi et des plus remarque 101 apporte une véritable morale la sagesse veut que l'on s'éloigne de la portraits principaux du livre VIII sont ceux de Cimon, Clitandre, Théonas, Timante, Théodote et Straton. 5Livre IX Des grands 56 remarques Dans ce livre, le moraliste dénonce les privilèges acquis par la naissance et le mépris du mérite Bruyère évoque les grands », c'est-à-dire les hommes issus des familles les plus puissantes. Ces grands », qui sont vaniteux, dominent et écrasent les plus petits » qui se soumettent à eux dans une forme de servitude volontaire. Malgré tout, les grands » ne se comportent pas mieux que les petits » et ils possèdent tous les mêmes défauts. Ce livre est placé sous le signe de l'ironie, du sarcasme, de la raillerie et de la portraits principaux du livre IX sont ceux de Théophile, Théognis, et Pamphile. Le Discours de la servitude volontaire est une œuvre d'Étienne de La Boétie, un penseur du XVIe siècle. Ce discours est un réquisitoire contre l'absolutisme. La Boétie essaie de comprendre comment tout une population peut se soumettre à un seul et même homme. Il soutient que cette servitude est consentie et non pas forcée. 6Livre X Du souverain ou de la république 35 remarques Ce livre est consacré au roi Louis XIV. La Bruyère y évoque également l'exercice du dénonce les abus de Louis XIV et plus particulièrement les guerres qu'il mène. Le moraliste prodigue des conseils au roi et il établit une liste de qualités qui devraient être celles de ceux qui gouvernent. À travers ces remarques se profile la critique latente mais sévère de Louis XIV. Il propose aussi le portrait de dirigeants idéaux par le biais de la métaphore du prince-berger remarque 29 et le portrait d'un souverain parfait remarque 35. Il évoque dans ce chapitre les devoirs du souverain et des dirigeants mais aussi ceux du peuple. CLes personnages principaux Les portraits dépeints par La Bruyère lui permettent de parler de son époque, d'évoquer un type n'y a pas à proprement parler de personnages » dans cette œuvre, car c'est un essai. Cependant, on y trouve de nombreux portraits. Les figures dont La Bruyère fait le portrait sont issues de l'Antiquité ou tirées des comédies antiques ou classiques. Bien que nombre de lecteurs ont essayé de savoir qui se cachait derrière ces portraits, La Bruyère a insisté sur son dessein tenir des propos sur la nature humaine en général. Derrière chaque portrait se cache donc un type personnages ne sont pas ou peu décrits physiquement. La Bruyère n'étudie pas non plus leur psychologie. Il s'efforce de brosser un portrait de leurs mœurs et de leurs mener ces portraits à bien, il emploie principalement deux procédés littéraires l'hypotypose et l'éthopée. Hypotypose L'hypotypose est une figure de style qui consiste à décrire une scène ou une personne de manière tellement frappante et animée que le lecteur a l'impression de vivre cette scène ou d'être en face de cette personne. Éthopée L'éthopée est un procédé qui consiste à décrire des personnages par l'évocation de leurs mœurs et de leurs coutumes. C'est donc une description qui a pour objectif de dresser le portrait moral d'un personnage. DLes thèmes principaux La Bruyère aborde de nombreux thèmes dans Les Caractères. Cependant, trois d'entre eux sont particulièrement importants l'honnête homme, le theatrum mundi et la peinture et la critique des mœurs de la société de son temps. 1L'honnête homme Dans Les Caractères, La Bruyère propose, par le biais des portraits satiriques qu'il fait de ses personnages » et par contraste, l'image idéale de l'honnête homme représente l'idéal de l'époque classique. Le Larousse le définit ainsi Homme du monde accompli, d'un esprit cultivé mais exempt de pédantisme, agréable et distingué tant dans son aspect physique que dans ses manières ». Époque classique L'époque classique est la période littéraire durant laquelle règne le classicisme en France, c'est-à-dire entre 1660 et 1685. Le classicisme est régi par des règles esthétiques et morales très strictes sobriété et clarté du propos, imitation des auteurs de l'Antiquité, désir de plaire et d'instruire. Les auteurs de cette époque cherchent à égaler la perfection de la beauté des œuvres antiques. Ainsi, l'honnête homme est un homme de goût. Il sait plaire naturellement, sans faire usage d'artifices. C'est un érudit qui est capable de rester modeste et discret. Il utilise la conversation à bon escient et ne doit être ni présomptueux ni imbu de lui-même. Il doit, en restant mesuré et délicat, savoir se rendre plaisant et divertissant. C'est donc un homme cultivé et de bonne compagnie qui se caractérise par sa maîtrise de lui-même et par celle des relations faisant le portrait de personnages ridicules comme Théodecte livre V, remarque 12 qui est trop théâtral, en mettant en lumière des défauts risibles à l'image de la vanité et de l'égoïsme de Narcisse livre VII, remarque 12, en dénonçant les travers de la nature humaine et en se riant de la conduite des hommes qui sont manipulateurs, arrivistes et intrigants comme le sont les hommes de cour livre VIII, La Bruyère construit, finalement, le portrait de l'honnête homme en montrant ce qu'il ne faut pas faire. 2Le theatrum mundi Le motif du theatrum mundi est ce que l'on appelle un topos littéraire c'est un thème traditionnel et répandu en littérature. Le theatrum mundi fait le rapprochement entre le jeu théâtral et la vie en société. Cela peut se traduire par le théâtre du monde ».L'idée du theatrum mundi renvoie à une conception biblique du monde. D'après les préceptes chrétiens, Dieu est le créateur de notre monde puis il en devient le spectateur. Ainsi, le monde est un théâtre dans lequel chaque être humain joue un rôle. Le monde n'est donc qu'une illusion et la vie n'est donc qu'une comédie sans idée se retrouve à de nombreuses reprises dans Les Caractères. Dans livre VI Des biens de fortune » remarque 31, La Bruyère écrit Le peuple souvent a le plaisir de la tragédie il voit périr sur le théâtre du monde les personnages les plus odieux, qui ont fait le plus de mal dans diverses scènes, et qu'il a le plus haïs. » C'est particulièrement au cours du livre VIII, à la remarque 99, qu'il exprime cette idée. Les Caractères, Livre VIII »Le monde est une comédie perpétuelle. Rien ne change sauf les acteurs ». Mais les nouveaux hommes qui remplacent les anciens vont répéter les mêmes comportements. 3La peinture et la critique des mœurs de la société de son temps La Bruyère, en bon moraliste, cherche à dénoncer les défauts des hommes et les vices de son époque en peignant la société. Cela lui permet de montrer ce qu'il faut faire et ce qui est à Bruyère, au service de la famille de Condé, fréquente régulièrement Versailles et la cour. Il a donc tout le loisir d'observer le microcosme qui la constitue. Il est l'observateur direct des vices et des vertus des hommes de son époque. Les portraits qu'il fait sont inspirés par les personnes qu'il croise. Par l'intermédiaire de ses Caractères, La Bruyère cherche à montrer à ses contemporains les travers de leurs mœurs et les défauts de leurs comportements. Il montre qu'ils sont corrompus et corruptibles tant ils accordent de l'intérêt à l'argent. Ainsi, dans le livre VI Des biens et des fortunes », le moraliste dénonce la toute-puissance de l'argent qui perturbe l'ordre social. La société n'est pas régie par le mérite mais par la richesse. Les plus riches asservissent les plus pauvres qui se retrouvent exclus de la société. Ainsi, La Bruyère prend notamment l'exemple d'Ergaste livre VI, remarque 28 prêt à tout pour s'enrichir ou de Giton et Phédon livre VI, remarque 83 dont la vie est bien différente en raison de leur fortune. Le premier se donne tous les droits sur les autres en raison de sa richesse, il est heureux et a une vie sociale épanouie. Inversement, le second, Phédon, semble exclu de toute vie sociale car il est l'auteur, la ville et la cour concentrent et exacerbent les vices de l'homme. En effet, ces deux lieux montrent tout à la fois le clivage social et la perméabilité des classes. Pour l'auteur, cela conduit à un déséquilibre de la société. En effet, les apparences et les faux-semblants modifient l'ordre social et créent une instabilité. Cette instabilité se remarque à travers le destin de certains personnages qui passent de la fortune à l'infortune en un rien de temps. La Bruyère prend le cas d'un homme anonyme qui, à peine installé dans ses nouvelles fonctions qui le mettent dans la lumière, s'en retrouve rapidement déchu, ce qui le replace dans l'ombre livre VIII, remarque 32. Or, cette instabilité permanente ne favorise ni le mérite ni la vertu. Ainsi, dans le livre VI Des biens de fortune », La Bruyère fait le portrait de Sosie remarque 15, qui passe du statut de domestique à celui d'administrateur des biens d'une paroisse religieuse il devient donc noble non pas grâce à son mérite mais par le biais de fraudes financières et de au-delà d'une critique des mœurs du peuple, La Bruyère fait aussi la critique de ceux qui gouvernent. C'est l'objet de livre X intitulé Du souverain et de la république ». Tout en y dénonçant les défauts d'un mauvais souverain, il montre les exemples que ceux qui gouvernent devraient suivre. Ainsi, il critique tout particulièrement l'absolutisme et la tyrannie qui en découle C'est la manière la plus horrible et la plus grossière de maintenir, ou de s'agrandir » remarque 2, Il n'y a point de patrie dans le despotique » remarque 4. La Bruyère s'insurge également contre la guerre qui ravage le pays et le peuple remarque 10. Le moraliste se permet ensuite de donner des conseils au souverain pour devenir un bon roi il doit s'entourer remarques 14 et 23, il doit servir les intérêts du peuple et non les siens remarque 24, il doit conduire son peuple comme un berger conduit son troupeau remarque 29, enfin, il doit être constant et juste envers son peuple remarque 35. C'est d'ailleurs dans cette trente-cinquième et dernière remarque que La Bruyère brosse le portrait du souverain idéal. AArrias Livre V De la société et de la conversation », remarque 9 Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur "Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsque l'un des conviés lui dit C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive fraîchement de son ambassade." » Hyperboles Vocabulaire des faux-semblants Vocabulaire de la parole Arrias monopolise la parole La rigueur scientifique » de la démarche d'Arrias Un retournement de situation comique Il y a quatre mouvements essentiels à retenir de ce texte. 11er mouvement un portrait peu flatteur Arrias est d'emblée présenté comme un homme pédant et imbu de lui-même. Les hyperboles montrent qu'il est toujours dans l'excès et inscrivent le portrait d'Arrias dans la satire. Le vocabulaire des faux-semblants fait comprendre que c'est un trompeur. Il préfère le mensonge à la vérité. L'expression c'est un homme universel » montre qu'en fait Arrias est un personnage-type. Il représente à la fois la pédanterie et la comédie que les hommes jouent en société. 22e mouvement la sottise d'Arrias Les nombreux verbes de parole ainsi que la répétition anaphorique du pronom personnel il » montrent qu'Arrias monopolise la parole. La conversation mondaine devient alors un monologue. Les propos d'Arrias montrent aussi toute sa bêtise. Le fait qu'il parle de choses qu'il ne connaît pas et qu'il rit de ses propres histoires renforcent l'idée qu'il est un sot. Enfin, quand un interrupteur » le contredit et lui prouve qu'il a tort, en lui opposant la vérité, Arrias fait preuve d'une mauvaise fois impressionnante en simulant une colère bien peu légitime. 33e mouvement l'illusion d'une enquête scientifique Arrias cautionne ses propres propos en affirmant avoir fait une enquête rigoureuse il tient cela d'une personne de renom, Sethon, ambassadeur de France dans cette cour », qu'il a interrogé » et qui ne lui a rien caché ». Il donne donc l'impression que ses propos sont authentiques et vérifiables car l'évocation de Sethon fait office d'argument d'autorité. Argument d'autorité L'argument d'autorité s'appuie sur les propos, la pensée d'une personne faisant autorité dans un domaine ou considérée comme une l'assurance qu'il met dans son discours Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée », Arrias semble avoir pris le dessus sur son interrupteur » mais ce n'est qu'une illusion. 44e mouvement un véritable coup de théâtre La dernière phrase prononcée par un des conviés » met fin à l'illusion. Dans un retournement de situation comique, l'imposture d'Arrias est travers ce portrait satirique d'Arrias, La Bruyère dénonce la pédanterie et le mauvais usage de la parole. En cela, Arrias est l'exact contraire de ce que devrait être un homme honnête. La Bruyère montre également que les hommes jouent un rôle en société sur le théâtre du monde. B Le spectateur professionnel » Livre VII, De la ville », remarque 13 Voilà un homme, dites-vous, que j'ai vu quelque part de savoir où, il est difficile ; mais son visage m'est familier. —Il l'est à bien d'autres ; et je vais, s'il se peut, aider votre mémoire. Est-ce au boulevard sur un strapontin, ou aux Tuileries dans la grande allée, ou dans le balcon à la comédie ? Est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet ? Où pourriez-vous ne l'avoir point vu ? où n'est-il point ? S'il y a dans la place une fameuse exécution, ou un feu de joie, il paraît à une fenêtre de l'Hôtel de ville ; si l'on attend une magnifique entrée, il a sa place sur un échafaud ; s'il se fait un carrousel, le voilà entré, et placé sur l'amphithéâtre ; si le Roi reçoit des ambassadeurs, il voit leur marche, il assiste à leur audience, il est en haie quand ils reviennent de leur audience. Sa présence est aussi essentielle aux serments des ligues suisses que celle du chancelier et des ligues mêmes. C'est son visage que l'on voit aux almanachs représenter le peuple ou l'assistance. Il y a une chasse publique, une Saint-Hubert, le voilà à cheval ; on parle d'un camp et d'une revue, il est à Ouilles, il est à Achères. Il aime les troupes, la milice, la guerre ; il la voit de près, et jusques au fort de Bernardi. Chanley sait les marches, Jacquier les vivres, Du Metz l'artillerie celui-ci voit, il a vieilli sous le harnois en voyant, il est spectateur de profession ; il ne fait rien de ce qu'un homme doit faire, il ne sait rien de ce qu'il doit savoir ; mais il a vu, dit-il, tout ce qu'on peut voir, et il n'aura point regret de mourir. Vocabulaire de la vue employé en polyptote Vocabulaire du lieu Le personnage assiste à une grande quantité d'événements publics Présence anaphorique des pronoms de 3e personne Il y a trois mouvements essentiels à retenir de ce texte. 11er mouvement un personnage qui semble partout à la fois Le personnage dont il est question et qui restera, tout le long de l'extrait, anonyme, semble être partout à la fois. On ne sait pas qui il est mais tout le monde l'a déjà vu son visage m'est familier ». 22e mouvement un personnage qui accumule les activités Ce personnage assiste à tout ce à quoi il peut assister. Le procédé de l'accumulation montre qu'il enchaîne inlassablement les activités de toutes sortes divertissantes, politiques, militaires, culturelles. 33e mouvement le spectacle du monde Le personnage semble avoir envie de tout voir. Il est un spectateur de profession ». Le polyptote du mot voir » montre que le thème de la vue est au centre de cette remarque. Le polyptote insiste donc sur l'omniprésence de la vision. Mais ce personnage se contente de voir, d'observer, d'assister. Il reste passif car il n'agit pas et il n'apprend finalement rien. Polyptote Un polyptote est une figure de style qui consiste en la reprise d'un même terme avec des variations morphologiques nombre, temps, personne, etc..Être un spectateur professionnel » est finalement une activité oisive et bien peu porteuse. En effet, voir n'est ni vivre ni savoir. La Bruyère critique ici non pas les hommes qui jouent sur le théâtre du monde mais les hommes qui observent la comédie sociale sans réfléchir ni en tirer de leçons. CPamphile Livre IX Des grands », remarque 50 - extrait Un Pamphile est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité ; il ramasse, pour ainsi dire, toutes ses pièces, s'en enveloppe pour se faire valoir ; il dit Mon ordre, mon cordon bleu ; il l'étale ou il le cache par ostentation. Un Pamphile en un mot veut être grand, il croit l'être ; il ne l'est pas, il est d'après un grand. Si quelquefois il sourit à un homme du dernier ordre, à un homme d'esprit, il choisit son temps si juste, qu'il n'est jamais pris sur le fait aussi la rougeur lui monterait-elle au visage s'il était malheureusement surpris dans la moindre familiarité avec quelqu'un qui n'est ni opulent, ni puissant, ni ami d'un ministre, ni son allié, ni son domestique. Il est sévère et inexorable à qui n'a point encore fait sa fortune. Il vous aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit ; et le lendemain, s'il vous trouve en un endroit moins public, ou s'il est public, en la compagnie d'un grand, il prend courage, il vient à vous, et il vous dit Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir. Tantôt il vous quitte brusquement pour joindre un seigneur ou un premier commis ; et tantôt s'il les trouve avec vous en conversation, il vous coupe et vous les enlève. Vous l'abordez une autre fois, et il ne s'arrête pas ; il se fait suivre, vous parle si haut que c'est une scène pour ceux qui passent. Aussi les Pamphiles sont-ils toujours comme sur un théâtre gens nourris dans le faux, et qui ne haïssent rien tant que d'être naturels ; vrais personnages de comédie, des Floridors, des Mondoris. Antonomase figure de style qui consiste à remplacer un nom commun par un nom propre et inversement Énumération et asyndète Discours direct Antithèses Polysyndète Énumération Comportement hypocrite et opportuniste Vocabulaire du théâtre Il y a trois mouvements essentiels à retenir de ce texte. 11er mouvement la critique de l'homme de cour En employant l'antonomase, le terme Pamphile ne désigne plus un homme en particulier mais un type d'homme, une catégorie d'individus. Ainsi, tout ce qui va suivre ne concerne plus Pamphile en lui-même mais l'homme de cour en général. L'énumération, construite sur une asyndète, exprime tout l'orgueil de cet homme. Ceci est renforcé par le discours direct qui, finalement, vide les paroles de leur sens les récompenses reçues ne sont là que pour l'image qu'elles renvoient de celui qui les possède. Les antithèses montrent l'hypocrisie de Pamphile qui feint la modestie alors qu'il est pétri de vanité. Asyndète Une asyndète est une figure de construction qui consiste à supprimer les mots de liaison attendus conjonctions de coordination ou toute liaison logique. 22e mouvement une réflexion sur les faux-semblants et l'hypocrisie Le mouvement suivant dénonce l'hypocrisie du personnage qui ne s'adresse qu'à des personnes qu'il estime dignes de lui. L'évocation de son rougissement montre à quel point l'image que les autres ont de lui est importante à ses yeux il ne veut être vu qu'avec des hommes dignes de lui. La polysyndète sur laquelle est construite l'énumération montre à quel point les critères sont sélectifs pour être considéré comme fréquentable » aux yeux de Pamphile. Mais ces critères sont loin d'être ceux de l'honnête homme puisqu'ils se basent sur la richesse et les mieux montrer l'absurdité et l'hypocrisie de Pamphile, La Bruyère intègre le lecteur par l'emploi du pronom personnel vous » et celui du présent de l'indicatif. La scène, rendue ainsi vivante, montre un personnage opportuniste et faux. Polysyndète La polysyndète consiste à répéter une même conjonction de coordination devant chaque terme d'une énumération. La polysyndète s'oppose à l'asyndète. 33e mouvement la métaphore du theatrum mundi L'antonomase auparavant au singulier est mise au pluriel et l'emploi de présents de vérité générale montrent que la critique qui est faite est universelle et ne concerne pas uniquement ce courtisan-là. Le vocabulaire du théâtre et l'évocation d'acteurs de l'époque en antonomases aussi soulignent la fausseté des courtisans qui jouent sans cesse un aristocrates et les courtisans sont donc de véritables comédiens sur le théâtre du monde. Ambitieux et hypocrites, ils s'éloignent de plus en plus de l'idéal de l'honnête homme.Lesujet de dissertation porte sur une question d’ordre littéraire ou général en rapport avec le domaine artistique. Le sujet est composé de deux parties principales, à savoir, l’énoncé et la consigne. Dans l’épreuve de littérature, la dissertation est le sujet de type III. Lorsqu’on veut traiter un sujet de dissertation, trois
En 1665 paraissent les Maximes de La Rochefoucauld et, en 1670, les Pensées de Pascal. C'est dans cette veine de réflexions brèves, variées et souvent satiriques que s'inscrit La Bruyère lorsqu'il entreprend le projet des Caractères, cette même année 1670 si l'on en croit le témoignage de l'avocat Brillon, son contemporain. La rédaction et la publication des Caractères s'échelonnent jusqu'en 1696, avec, entre 1688 et 1696, date de la mort de La Bruyère, neuf éditions successives. C'est dire que Les Caractères est la grande œuvre de La Bruyère, qu'il n'a cessé, jour après jour, de compléter, d'augmenter, de rectifier. Au cœur des seize livres qui composent Les Caractères, les livres v à x offrent une peinture colorée de la vie en société à la ville et à la L'œil du moraliste des portraits sans concessionUne galerie de portraits individuelsLes Caractères peuvent tout d'abord être perçus comme une série de portraits individuels, peints d'après nature » préface. Tout comme dans l'œuvre originelle dont s'inspire La Bruyère, Les Caractères de l'auteur grec Théophraste, ces portraits individuels peuvent représenter des types » comme le flatteur, l'impertinent, le courtisan, etc. C'est par exemple le cas du portrait d'Arrias remarque 9, livre v, homme universel », ou de Théramène remarque 14, livre vii, l'épouseur ».Mais le portrait individuel peut aussi être un portrait à clef » qui, pour décrire un type, partira d'un modèle reconnu de tous comme Théobalde remarque 66, livre v, qui désignerait le poète Isaac de Benserade, incarnant le type de l'auteur à la portrait d'ensemble de la société du xviie siècleÀ travers ces portraits, mais aussi grâce aux autres sortes de remarques », selon le terme employé par La Bruyère pour qualifier son texte préface, c'est un portrait d'ensemble de la société du xviie siècle que brosse l'auteur, ménageant contrastes, parallèles et gradations. Ainsi croque-t-il les partisans » dans le livre vi Des biens de fortune », les courtisans » dans le livre viii De la cour », les grands », princes et autres gens de haute naissance dans le livre ix Des grands ». Aux contrastes sociaux s'ajoutent et se mêlent des contrastes géographiques, comme ceux entre la ville et la campagne ou entre la ville et la Bruyère immortalise à la fois les évolutions de son siècle, comme l'ascension des gens fortunés au détriment de la noblesse livre vi, et des traits caractéristiques de son époque, qu'il s'agisse de modes comme les bains des quais Saint-Bernard remarque 2, livre vii, de coutumes comme celle des jeunes mariées recevant leurs visiteurs sur leur lit durant les trois premiers jours de leur mariage remarque 19, livre vii ou d'habitus comme la versatilité de la louange et du blâme remarque 32, livre viii. La Bruyère fixe ainsi des traits pour mieux les infléchir. II. Un livre pour instruire et corrigerLa mise en scène de la dualité des apparencesLa Bruyère exprime clairement son projet d'écriture dans la préface de son livre [le public] peut regarder avec loisir ce portrait que j'ai fait de lui d'après nature, et s'il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s'en corriger » ; on ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'instruction ». Aussi l'auteur signale-t-il la dualité des apparences pour mieux faire comprendre à son lecteur ce qui se joue en coulisses. L'image répandue du theatrum mundi le théâtre du monde » revient en effet à plusieurs reprises, comme avec la remarque 25 du livre vi sur les cuisines. Mais la dualité des apparences peut également être épinglée à travers un caractère, comme celui de Théodote, comédien-né remarque 61, livre viii, ou à travers un discours dont La Bruyère explicite avec humour les sous-entendus, comme s'il traduisait une langue étrangère remarque 37, livre ix. En dénonçant mensonge et hypocrisie, La Bruyère entend amener son lecteur à un plus haut degré de présence du jeL'instruction que La Bruyère souhaite dispenser à son lecteur se lit aussi dans la manifestation constante au fil des pages d'un je. Sa présence peut surprendre dans un livre où l'expression de remarques » générales tendrait à effacer ou tout du moins à minorer l'expression d'une subjectivité. Mais la présence de ce je joue en réalité un rôle primordial dans le dessein d'instruction affiché par La Bruyère, en faisant partager au lecteur la singularité d'une expérience, c'est-à-dire en légitimant le général par le particulier. Autrement dit encore, la présence du je légitime l'emploi du on, comme dans l'enchaînement des remarques 49 et 50 du livre v la remarque 49 fait le récit à la première personne du singulier de la découverte d'une petite ville » tandis que la remarque 50, par l'emploi du on et de tournures indéfinies, fixe les traits caractéristiques des petites villes ». Mais outre l'emploi du je et du on, on trouve aussi souvent celui du vous dans Les Caractères — là encore, non sans De l'art de manier la langue démonstration et traité implicite ?Variété et variation le choix d'une esthétique proche de la conversationLa variété et l'art de la variation déployés dans Les Caractères ont souvent retenu l'attention des critiques littéraires, qui ont mis en avant les contrastes marqués entre les différentes remarques » qui composent cette œuvre, allant de la simple pointe » exprimée en une ou deux lignes au portrait développé sur plusieurs pages. Sans doute faut-il voir dans la variation des formes d'expression et la variété des sujets traités un choix esthétique qui rapproche Les Caractères d'une conversation mondaine. La Bruyère s'ingénie en effet à ne pas lasser son lecteur, qu'il implique directement, presque comme un interlocuteur. De fait, le dire semble bien souvent le modèle de l'écrire, comme le donne à penser la remarque 78 du livre v Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire. »Le langage au cœur des réflexionsLe langage apparaît ainsi au cœur des réflexions formulées dans Les Caractères, à la fois comme manière — façon d'écrire — et comme matière — sujet traité. Un livre entier, le livre v, De la société et de la conversation », est consacré à l'analyse du langage et de ses emplois. Mais les réflexions sur le langage essaiment aussi dans les autres livres qui composent Les Caractères, comme dans l'exemple déjà cité du discours à double entente de la remarque 37 du livre ix consacré aux grands », ou comme au livre viii consacré à la cour », où les remarques 79 à 82 traitent respectivement des paroles qui ne s'effacent pas, des bons mots, des phrases toutes faites et des cinq ou six termes de lexique spécialisé par lesquels on se fait passer pour un spécialiste de l'art. Les Caractères rappellent ainsi toute l'importance de savoir manier et décrypter les mots dans une société où ils étaient souvent décochés comme des pour la dissertation les enjeux du parcours– Ridicule de Patrice Leconte, 1996 Dans ce monde c'est-à-dire à la cour, un vice n'est rien mais un ridicule tue. » Sous Louis xvi, au xviiie siècle, un jeune baron arrive à la cour dans le but de demander à l'État d'assécher les marais de sa région, qui provoquent de nombreuses maladies parmi les paysans. On le remarque rapidement pour ses traits d'esprit et la qualité de ses reparties redouté et protégé par les uns, il devient l'ennemi d'un certain nombre de courtisans bien décidés à le faire échouer dans son irrésistible ascension…Même s'il se situe un siècle après la période évoquée par La Bruyère dans ses Caractères, le film restitue parfaitement l'atmosphère de la cour et la comédie sociale mise en place par les courtisans. Chacun cherche à se faire bien voir et à approcher le roi, et l'unique moyen pour y parvenir consiste à se faire remarquer. Le règne des apparences est à son comble, et les traits d'esprit, s'ils sont vifs, cruels et immédiats, assurent un succès à leur auteur. Le récit joue bien sur les deux temps de cette initiation au monde par le jeune baron d'abord enthousiaste, il se prête au jeu et se découvre un talent que tous admirent, avant que les masques tombent et que plusieurs des personnalités influentes ne s' Leconte use des mêmes ressorts que La Bruyère pour faire le portrait de cette société des élites la forme est séduisante, le rythme soutenu et les dialogues ciselés, habiles moyens de séduction pour nous conduire vers un fond bien plus acide et pessimiste. La cruauté l'emporte sur l'esprit, le jeu sur le débat, et les questions essentielles — à savoir le bien du peuple, motif de la venue du baron — sont totalement là qu'intervient la différence majeure avec l'œuvre de l'auteur classique par l'épilogue, le film évoque la période révolutionnaire et la destinée du marquis de Bellegarde, réfugié en Angleterre. La cour, sans le savoir, vivait ses derniers instants, et son indifférence à l'égard de ce qui se passe dans le pays a eu raison d'elle. Les jeux, les banquets, les concerts et les raffinements prennent une tournure d'autant plus vaine.– La Grande Belleza de Paolo Sorrentino, 2013Rome, en 2013. Jep Gambardella est un critique d'art qui a eu son heure de gloire plusieurs décennies plus tôt par la publication d'un livre ; il se contente depuis de se laisser vivre dans les soirées mondaines et parmi les élites de l'art contemporain. Le film suit ses soirées dans les lieux les plus prestigieux de la capitale italienne, et caricature autant les artistes que ceux qui assurent par le traitement médiatique leur prolongement de la satire proposée par Boileau sur son époque, celle de Sorrentino montre que si les temps changent, les individus restent les mêmes. Les élites s'enferment dans des jeux de rôle, au sein d'une fête permanente qui trompe leur ennui et un langage recherché qui ne masque que du vide. La beauté plastique, très travaillée, permet un voyage à travers les différentes architectures, des ruines antiques aux boîtes de nuit, faisant le portrait d'une ville minérale, superbement éclairée et fascinante. Mais le style que choisit Sorrentino est aussi très proche du langage publicitaire et du clip, autre façon de mettre en lumière les clichés et la construction d'une beauté faite pour sous la surface, les questions essentielles ne cessent de bouillonner. Les différentes œuvres proposées par les artistes révèlent, en plus d'un égocentrisme absolu, de profondes angoisses, notamment sur la fuite du temps et la modification du corps sous le poids de l'âge. Le protagoniste lui-même a bien conscience de n'être que l'ombre de lui-même, et témoigne avec mélancolie des décennies perdues à tenter d'oublier l'inéluctable. On pourra rapprocher ce film d'un autre grand titre du cinéma italien sorti en 1959 La Dolce Vita de Federico Fellini. Dans ce film qui fit scandale en son temps, le personnage de Marcello Mastroianni, un journaliste de la presse people, passe de fêtes en fêtes et de femmes en femmes sans jamais obtenir satisfaction. Ses nuits blanches sont surtout une fuite face à sa mélancolie, et certaines séquences du récit le confronteront directement à la le montrait déjà La Bruyère, la comédie sociale est avant tout un masque pour se détourner du tragique Corpus la comédie socialeMettre en scène le théâtre du monde »Parce qu'il est un art d'imitation, de représentation et d'illusion, le théâtre est sans doute le genre littéraire le plus apte à dénoncer la dualité des apparences, le change que se donnent les uns et les autres sur la scène de Molière s'affirme par exemple comme une satire en règle de l'hypocrisie qui règne en société, critiquant les comportements affectés des uns dans Les Précieuses ridicules 1659, les précautions inutiles et égoïstes prises par d'autres pour éviter le ridicule du cocuage dans L'École des femmes 1662, la manipulation de familles entières par des imposteurs dans Tartuffe 1669 ou encore les prétentions risibles des bourgeois dans Le Bourgeois gentilhomme 1670. Le théâtre de Molière, par le détour du rire, étale ainsi au grand jour les mensonges dont sont tissées les relations sociales, révélant l'envers du théâtre de Marivaux, quant à lui, s'amuse à inverser et à renverser les rôles, mettant en lumière le double jeu des personnages, leur propension à l'intrigue et à la duplicité, ce qui permet aussi de représenter les inégalités sociales sur lesquelles est fondée la société d'Ancien Régime. Ainsi les maîtres se déguisent-ils en domestiques dans Le Jeu de l'amour et du hasard 1730 ou bien deviennent-ils, contre leur gré cette fois, valets dans L'Île des esclaves 1725. Dans Le Prince travesti 1724, c'est un roi qui se fait passer pour un aventurier, tandis que dans La Fausse Suivante 1724, c'est une demoiselle qui prend les habits d'un chevalier. Dans les œuvres de Marivaux, les personnages prêchent donc le faux pour savoir le vrai, amenant les spectateurs à prendre conscience de certaines réalités et de certaines vérités qui tout à coup leur sautent aux déplacement du regardLa dénonciation des travers de la société française peut aussi s'effectuer par un déplacement du regard il suffit pour cela de rendre les personnages étrangers » aux ses Fables, publiées entre 1668 et 1694, La Fontaine reconstitue tout le microcosme de la société française du xviie siècle, épinglant les défauts de celles et ceux qui la composent en les représentant sous les traits d'animaux. La distance suscitée par cette animalisation entre les personnages et les modèles dont ils sont inspirés offre à La Fontaine une plus grande liberté de sur le même principe de mise à distance des personnages que reposent les Lettres persanes 1721 de Montesquieu dans ce roman épistolaire, les protagonistes sont deux Persans qui visitent la France et s'étonnent » de leur découverte de ce pays. Grâce au regard étranger de ces deux personnages, Montesquieu peut se livrer à une véritable vivisection satirique de la société française de son pour l'oral élargissements culturels– La Vérité de Henri-Georges Clouzot, 1960Dominique Marceau Brigitte Bardot est accusée d'avoir tué son ancien amant, Gilbert. Elle comparaît donc en cour d'assises, où toute son histoire est racontée sous forme de flash-back. Dominique est venue à Paris dans l'appartement de sa sœur Annie, une violoniste fiancée à un jeune chef d'orchestre, Gilbert. Après avoir séduit celui-ci, elle entame une relation toxique avec lui, qui se finira par un crime passionnel. La cour juge avec sévérité son instabilité et le fait qu'elle ait collectionné les amants dans une vie de bohème, bien loin des codes en en 1960 et inspiré d'une histoire vraie, celle de Pauline Dubuisson sur laquelle Philippe Jaeneda a écrit un ouvrage biographique important en 2015, La Petite Femelle, le film évoque le choc des générations. La jeune blonde flamboyante vit une sexualité sans entraves et fréquente des milieux populaires avant de faire irruption dans la vie rangée d'un bourgeois bien décidé à faire carrière dans le monde de la musique. C'est ce que la cour ne semble pas lui pardonner. La manière dont on présente sa vie est déjà en soit un jugement, car la prévenue a refusé de jouer la comédie sociale en vigueur bien plus qu'un procès pour meurtre, c'est la condamnation d'une attitude et d'une forme de liberté. On retrouvera d'ailleurs cette problématique cruciale — une cour d'assises qui tend à maintenir à tout prix l'ordre établi en condamnant ceux qui s'écartent de la norme — dans L'Étranger d'Albert Camus 1942, qui peut aussi être rattaché à cette thématique de la comédie question du regard d'une génération d'aînés sur la jeunesse qu'elle ne comprend pas à travers un procès est reprise et réactualisée dans un film plus récent et tout à fait passionnant La Fille au bracelet de Stéphane Demoustier 2019.La dimension comique est en outre largement exploitée dans la représentation satirique que Clouzot propose de la justice. C'est une salle de théâtre, dans laquelle le public vient se délecter des scandales du moment, et réagit par le rire ou la désapprobation bruyante à ce qui peut se dire dans le prétoire. Les avocats, quant à eux, sont de grands comédiens, n'hésitant pas à recourir à toutes les techniques dramaturgiques monologues, tirades, envolées lyriques, traits d'esprit pour défendre ou accuser. Mais on prend soin de montrer à quel point les rôles sont interchangeables, et qu'une fois l'affaire close, on passera à une autre dans ce monde très codifié et figé, la comédie dévore les individus et n'accorde aucune place aux sentiments.– My Fair Lady de George Cukor, 1964Londres, au début du xxe siècle. Higgins, un professeur, à la suite d'une altercation dans la rue avec une fleuriste nommée Eliza Doolittle, se moque de son langage et de son accent des rues. Elle le met au défi de lui apprendre à parler comme la noblesse, ce qu'il accepte. Durant six mois, elle va suivre d'intenses leçons de diction et de savoir-vivre, avant d'être introduite dans le grand monde pour vérifier si elle peut y faire d'une comédie musicale, le film est une illustration flamboyante d'une des sous-branches de la comédie les émotions y sont exacerbées et les passages chantés ou dansés procèdent comme des hyperboles festives de toutes les thématiques que le récit explore. C'est avant tout un récit initiatique, dans lequel la jeune fille apprend la codification assez artificielle d'un monde auquel elle n'appartient pas. Par le biais du langage ici, l'anglais, les personnages font un constat sans appel sur les distinctions sociales et les préjugés en vigueur dans l'Angleterre victorienne. Traitée sur un mode résolument comique, la satire joue sur les caricatures et rejoint en cela les portraits que peut faire La Bruyère dans son œuvre le professeur pédant, la jeune insolente, l'amoureux naïf ou l'élite question sociale est au cœur même du récit l'éducation de la jeune fille vise à la faire intégrer la classe supérieure, ce qui est au début perçu comme une quête respectable. Mais on comprend assez rapidement que la distinction entre les rustres populaires comme la figure du père du père d'Eliza et l'élite raffinée n'est pas aussi binaire. Le très important travail sur les costumes et les décors met en valeur le culte de l'apparence et une vision de l'aristocratie qui semble s'être figée dans un défilé de mode où les silhouettes deviennent presque des d'Eliza marque ainsi une sorte de retour à la vie, et l'amour pour son Pygmalion fait bouger les lignes, sociales comme émotionnelles. La comédie musicale met en mélodie les caractéristiques de chaque classe et propose une intrigue qui leur permet de se rejoindre à l' références sur la comédie sociale– La Règle du jeu de Jean Renoir, 1939Dans une demeure de campagne, l'aristocratie et la bourgeoise se côtoient à l'occasion d'une partie de chasse. Les domestiques auront aussi leurs propres intrigues, dans une satire féroce et comique des différentes classes sociales.– L'Homme de la rue de Frank Capra, 1941Une journaliste licenciée invente l'interview sensationnelle d'un anonyme vivant dans la pauvreté et menaçant de se suicider le soir de Noël. Son article reçoit un franc succès et elle engage un homme de la rue pour jouer ce personnage inventé de toutes pièces…– La Favorite de Yórgos Lánthimos, 2018Dans l'Angleterre du xviiie siècle, à la cour de la reine Anne, les luttes d'influence vont bon train entre les proches de la monarque. Trahison, manipulation et chantage affectif sont au menu d'une comédie féroce sur les courtisans. 05kyO.